Mesurer la croissance économique : quel indicateur privilégier ?

3 %. Ce chiffre, aride en apparence, traduit la progression du PIB mondial en 2023. Mais derrière cette croissance, la pauvreté persiste dans bien des régions et la courbe des émissions de carbone continue de grimper. Plusieurs pays affichent une croissance à deux chiffres tout en voyant leurs services publics s'effriter et leur environnement se dégrader. Selon l'indicateur retenu, les classements internationaux bouleversent la donne, montrant combien la richesse produite, le bien-être et la viabilité ne se recoupent pas toujours.

Les grandes organisations internationales continuent d'ériger le PIB en étalon de la performance économique, malgré une contestation grandissante sur sa capacité à traduire l'ensemble des réalités sociales, économiques et écologiques. Peu à peu, d'autres indicateurs font leur chemin dans le débat public, bousculant cette hégémonie.

Le PIB, un repère central pour comprendre la croissance économique

Depuis son invention dans les années 1930, le PIB (produit intérieur brut) s'est imposé comme la mesure de référence pour suivre la croissance économique. Additionner la valeur de tous les biens et services d'un territoire, voilà la recette qui structure encore aujourd'hui politiques et débats. Cette mesure de la production économique s'appuie sur les comptes nationaux, devenus incontournables pour piloter l'économie à grande échelle.

À chaque trimestre, la France dévoile ses chiffres de production intérieure. À chaque publication, analyses et interprétations affluent. Grâce au PIB, on compare la richesse créée, d'une année à l'autre, d'un pays à l'autre, parfois jusqu'à la deuxième décimale. Sa simplicité, sa rigueur statistique et la régularité de sa diffusion expliquent son influence sur la scène économique et médiatique.

Mais le PIB ne dit pas tout. Il ignore comment la richesse se répartit, occulte la qualité de vie ou la dégradation de l'environnement. Peu importe que l'activité produise des biens polluants ou soit source d'inégalités, tout se compte, tout s'additionne. La logique comptable domine : ce qui se vend s'inscrit dans la colonne du progrès. Reste que le PIB, pour central qu'il soit, laisse dans l'ombre des questions majeures sur la croissance économique et sa finalité.

Pourquoi le PIB ne suffit plus à refléter la réalité de nos sociétés ?

Le PIB règne toujours dans le discours sur la croissance économique, mais la réalité déborde largement cet indicateur. Le produit intérieur brut ne capte qu'une partie du tableau, laissant hors champ les limites du modèle. La mesure de la production économique passe à côté des inégalités, de l'épuisement des ressources naturelles et de l'empreinte écologique de nos modes de vie.

Dans le calcul du PIB, toutes les activités pèsent du même poids, qu'elles soient bénéfiques ou problématiques. Un désastre écologique, une crise sanitaire : tout sinistre alimente la production, gonfle la statistique. Mais qu'en est-il du bien-être, de la qualité de vie, de la sauvegarde de l'environnement ? Les émissions de gaz à effet de serre augmentent ? Le PIB grimpe, mais à quel coût pour demain ?

Voici deux angles aveugles du PIB sur lesquels il vaut la peine de s'arrêter :

  • La durabilité absente du PIB laisse planer une incertitude sur la suite du modèle économique.
  • L'espérance de vie, la santé, la cohésion sociale n'entrent pas dans la colonne des actifs.

Prenons un exemple concret : même lorsque la croissance accélère, une grande partie de la population ne voit pas la couleur du progrès. Les inégalités se creusent, la courbe du PIB monte, mais de nombreux citoyens restent à la marge. Le développement durable réclame une lecture plus fine, capable de mettre au jour les coûts cachés derrière les chiffres. Le PIB bute sur ce constat : il ne mesure pas les dégâts collatéraux d'un modèle qui s'essouffle.

Au-delà du PIB : quels indicateurs pour une croissance plus juste et durable ?

Le PIB reste la norme, mais le débat public se nourrit aujourd'hui de nouveaux outils d'évaluation, plus en phase avec les attentes collectives. Face aux limites du PIB, plusieurs indicateurs émergent pour compléter, voire nuancer, la vision strictement économique de la richesse.

Parmi eux, l'indice de développement humain (IDH), élaboré par le Programme des Nations unies pour le développement, combine trois dimensions : niveau de vie, santé (espérance de vie) et accès à l'éducation. Cette synthèse donne à voir le développement humain dans ses différentes composantes, et permet de suivre la trajectoire d'un pays sous un angle plus large que la seule création de richesses.

Autre approche : celle du bonheur national brut (BNB), conçue au Bhoutan. Ici, la qualité de vie occupe le devant de la scène : bien-être psychologique, préservation de l'environnement, équité sociale et santé sont pris en compte. Pendant longtemps, ces aspects sont restés secondaires. Aujourd'hui, ils s'imposent dans la réflexion sur le progrès.

Pour mieux distinguer ces alternatives, voici ce que chacun de ces indicateurs met en avant :

  • IDH : éducation, santé, niveau de vie
  • BNB : bien-être, environnement, cohésion sociale

En France comme ailleurs, la question se pose : comment évaluer la croissance économique sans négliger la préservation des ressources naturelles et les conséquences sociales ? La solution passe par l'utilisation conjointe de plusieurs indicateurs, capables d'embrasser la complexité du réel et de guider les politiques publiques vers une croissance plus équitable, attentive aux besoins humains et à l'environnement.

Étudiants discutant autour d

Et vous, quel regard portez-vous sur la mesure de la croissance aujourd'hui ?

Mesurer la croissance économique, c'est déjà prendre parti. Longtemps, le PIB a dicté la façon dont les nations se comparent, réduisant la richesse d'un pays à un chiffre unique. Mais la société réclame désormais autre chose. Au-delà de la simple somme des biens et services, l'heure est venue de s'intéresser à la qualité de vie, au progrès humain, à la pérennité de nos modèles.

Partout, la France incluse, une réflexion s'engage : faut-il s'en tenir à la croissance quantitative ou lui préférer des indicateurs plus sensibles aux réalités sociales et environnementales ? Le débat traverse les institutions, anime les entreprises, s'invite jusque dans les conseils municipaux. Les citoyens ne se satisfont plus du chiffre brut. Ils attendent que la mesure de la croissance rende compte des inégalités, du bien-être, de l'empreinte écologique.

On voit ainsi se dessiner un tableau de bord plus nuancé : l'IDH éclaire la santé et l'éducation, le Bonheur national brut met en avant la satisfaction individuelle et collective, tandis que l'épuisement des ressources naturelles impose de revoir les anciennes logiques. Chaque indicateur dévoile une part de la réalité. La question reste entière : quel indicateur privilégier pour guider nos choix, anticiper demain, décider collectivement ?

Pour synthétiser ces enjeux, trois axes se dégagent :

  • Production mesurée : une base, pas un cap
  • Bien-être et développement : un objectif partagé
  • Préservation de la vie : un engagement envers celles et ceux qui viendront